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La curieuse approche française de “la voix du client” quand il s’agit de voitures haut de gamme


En 1983, au cours d’une réunion top-secrète, Toyota décide de se lancer dans le haut de gamme (véhicule de luxe) sur le marché américain alors dominé par les prestigieuses marques allemandes (Mercedes & BMW) et américaines (Cadillac & Lincoln). Jusqu’à ce moment là, Toyota était un des meilleurs fabricants de voitures grand public et il s’agissait là d’un énorme défi pour le constructeur nippon. Le défi était non seulement technologique mais aussi financier. Cela représentait des investissements de plusieurs milliards de dollars. Comment se faire une place sur ce marché très prestigieux où l’image a beaucoup d’importance ? Pour donner aux clients des raisons de changer, Lexus devait offrir plus de valeur ajoutée que les autres à un prix plus bas… Pour vous donner une idée du challenge, c’est comme si McDonald décidait du jour au lendemain de faire du Paul Bocuse… Nul besoin de vous dire combien les observateurs étaient sceptiques.
Apres un vif débat interne, la décision fût prise de créer de toute pièce une nouvelle marque avec son réseau de distribution. Ce choix rendait le défi financier encore plus important. En effet, cela voulait dire non seulement un nouveau réseau commercial mais aussi de nouvelles usines, un nouveau centre R&D,… C’est ainsi que la première Lexus (LS 400) arriva sur le marché en 1989. En 2000, Lexus devient la marque numéro 1 en termes de vente de véhicules de luxe, place qu’elle n’a plus jamais quittée. Il serait très difficile de résumer 19 années d’histoire de l’une des plus grandes « success stories » de l’histoire de l’automobile (voire de l’histoire industrielle tout court) dans un post de blog. Cette histoire est exemplaire tant en termes de prise de décision stratégique qu’en termes d’exécution. De nombreux livres en parlent et je les conseillerais vivement à tout manager de l’industrie (automobile ou non). Cette histoire montre surtout l’importance que Toyota a toujours portée à la « voix du client ». Quand on en prend connaissance,  on se demande comment nos deux constructeurs français peuvent penser avoir du succès dans le haut de gamme en utilisant les mêmes équipes pour concevoir, produire, marketer, commercialiser une voiture sensée être haut de gamme qu’une Peugeot 107 ou une Twingo ? S’agissant du commerce et du marketing, tout le monde comprend que l’on ne vend pas une 607 comme on vend une 107. L’histoire de Lexus nous apprend pourquoi on ne devrait pas vendre une 107 au même endroit qu’une 607,  pourquoi les deux voitures ne devaient pas être vendues par les mêmes personnes et surtout pourquoi les deux voitures ne devaient pas porter la même marque. Toyota pousse même la prise en compte de la « voix du client » plus loin que cela. Le chief engineer (directeur de projet) d’une Yaris ne peut pas forcement devenir du jour au lendemain celui d’une Lexus. Dans la nomination du chief engineer, Toyota tient compte du background des personnes. Ainsi, ils ne vont certainement pas designer une personne qui n’a jamais mis ses pieds en Californie ou conduit des voitures de luxe chief engineer d’une Lexus destinée à la côte ouest des USA (à moins que l’on considère que la phase initiale d’immersion soit suffisante). Quelles que soient les qualités techniques de cette personne, son background peut être considéré comme une barrière qui l’empêchera d’accéder à la « voix du client ». D’ailleurs la première chose que fait un chief engineer après sa nomination est d’accéder à la « voix du client ». Cela signifie certainement que notre chief engineer passera beaucoup de temps aux USA à observer le mode de vie des potentiels clients et a s’immerger dans leurs habitudes de conduite. Je n’ai pas l’intention de faire de la stratégie à deux euros mais mon sentiment est que tant que les deux constructeurs français continueront à « mélanger » le haut de gamme et le reste, ils passeront toujours après les allemands. Créer une nouvelle marque n’est pas synonyme de succès mais ne pas le faire limite considérablement les chances de succès. Apres tout, Nissan ou Honda ne sont pas numéros 1 avec leur marque haut de gamme respective Infiniti et Acura…


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